top of page
Rechercher
© Loïs Le Tuault

Dune : Une histoire de conscience.

Dernière mise à jour : 4 avr.



« Il devrait exister une science de la contrariété. Les gens ont besoin d’épreuves difficiles et d’oppression pour développer leurs muscles psychiques. » Extrait de Les Dits de Muad’Dib, par la Princesse Irulan.


Je ne réssiste pas à vous partager, l'excellente ouverture du film Dune de David Lynch (1984) qui réussit la tâche difficile d’introduire le néophyte dans un univers d’une rare complexité.



« Que le monde de Dune est issu d’une multitude d’expériences personnelles, comme la lecture assidue de romans d’aventures, la fréquentation des gens de pouvoir, une balade magique au-dessus d’un paysage de sable, l’étude des écosystèmes, des religions et des populations des déserts, la connaissance de Jung et de ses travaux psychanalytiques, une conversation avec votre ami Jack Vance sous le ciel étoilé de Californie. Qu’un jour, l’occasion s’est présentée d’entamer les premières lignes de votre roman avec le mélange d’enthousiasme et d’inquiétude qui caractérise tout commencement. »

Extrait de la Préface de Pierre Bordage de DUNE chez Robert Laffont

La rencontre avec les sables de Dune se fit dans mon cas au beau millieu de l'adolescence. J'étais à peine plus jeune que Paul Atréides, soumis aux même inlassable questionnements. Comment vivre avec le poids de sa différence ? Que faires de ses intuitions génantes, qui mettent à mal le monde qui vous entourre ? J'ai tellement été fasciné par cet univers que devant la dissertation de l'épreuve du bac de Français où il était demandé d'écrire une lettre à son auteur préféré, je n'ai pu m'empêcher d'envoyer une missive à Frank Herbert pour lui chanter ses louanges. (Ce qui, au passage, me valut une note tout à fait honorable.)

Dune reste pour moi un space opera ou l'ont retrouve dans ses instruments mélodiques la question du pouvoir et de ses implications, de l'éveil de soi, de la spiritualité inhérente, mais surtout en trame de fond sonore le fardeau du poids de la conscience.

L'Homme: Frank Herbert

Frank Patrick Herbert, Jr, né dans le premier quart du siècle dernier, en 1920, est un véritable pionnier de la Science Fiction ou de ce qu'il va définir lui-même comme étant de la « fiction spéculative » (1). Fasciné par les livres il pouvait lire une grande partie du journal avant l'âge de cinq ans, il possédait une excellente mémoire et apprenait avec une facilité déconcertante (2). Véritable touche à tout, autodidacte, il se passionne très vite pour l'art de l'écriture et la photo. Mais pour autant, Herbert n'a jamais été diplômé de l'université. Selon son fils Brian, il voulait étudier uniquement ce qui l'intéressait et n'a donc pas validé les semestres d'études requis. Ce qui ne l'empêcha nullement d'être maître de conférences en études générales et interdisciplinaires à l'université de Washington. On souligne là, l'ouverture expérientielle le « Self-Made Man » de nos amis outre-Atlantique loin de nos institutions hiératiques européennes (française ?).

"C'était l' homme le plus vivant que j'aie jamais rencontré. Franck Herbert était amoureux du monde, un homme intensément heureux qui était intéressé par tout et tout le monde. Il portait la barbe et le ventre du père, mais le père Noël n'a jamais été aussi vivant que Frank l'a été. Le rire lui venait aussi facilement que la respiration" (3)

"Sa conviction la plus ferme était que le sens de la vie humaine émerge à travers le langage, lui-même miroir des écosystèmes dans lesquels la vie a évoluée. Tous ceux qui l'ont rencontré ont dit qu'il aimait beaucoup parler. C'était un causeur passionné, à l'aise dans l'improvisation." (4)

" J'appelle ça [l'art de converser], une danse...Ça l'est vraiment, c'est un véritable spectacle de jazz. Il n'y a aucune autre conversation dans l'univers qui a jamais été tout à fait comme celle que nous avons maintenant. Et il n'y en aura jamais d'autre tout à fait comme celle-là. " (5)

Comme beaucoup, d'artistes, de grands auteurs, il lui aura fallu attendre la dernière partie de sa vie pour rencontrer le succès et surtout vivre de ses écrits. En effet, c'est seulement vers la cinquantaine à partir des années 1970, dans les quinze dernières années qu'il lui reste à vivre qu'il pourra pleinement se consacrer à l'écriture de ses romans.

"Frank Herbert lui-même était dans de nombreux personnages de Dune , car ils Jaillirent de son esprit. Il était le digne et honorable duc Leto, et le Paul héroïque aussi. Il était le preneur de risques fanfaron chez Paul et dans le fidèle Duncan Idaho aussi. Les croyances religieuses et philosophiques de papa se rapprochaient de celles de Paul Atréides, combinant le silence, l'énigmatique élément du Zen avec l'autodétermination de l'existentialisme.

Mon père m'a dit une fois qu'il se sentait comme le leader Fremen, Stilgar. Cela m'a surpris jusqu'à ce que je réalise que Stilgar était l'équivalent d'un Leader amérindien dans l'histoire - une personne qui a défendu manière qui ne nuisent pas à l'écologie de la planète. Stilgar était un homme de plein air comme mon père, une personne plus à l'aise dans les régions sauvages de la planète que dans ses enclaves plus « civilisées ». Un nom si fort, Stilgar, combinant les éléments phonétiques de « acier » et « garde ». Il était le fidèle et gardien déterminé de Dune, une position qui n'est pas différente de celle que mon père par rapport à la Terre "Gesserit" était un nom choisi intentionnellement pour ressembler à "Jésuite"."


Mais bien sûr, comme toujours il y'a quelques ombres au tableau : dans la biographie de son père « Dreamer of Dune » Brian, son fils nous dépeint aussi un homme au physique imposant, parfois très rude avec ses enfants et sa femme:


« Frank Herbert était un homme si attentif aux affaires du monde que dans ses écrits, il prédisait avec précision des événements épiques, mais il ne reconnaissait pas son manque de proximité avec ses enfants quand ils étaient jeunes. À cet égard, son œil qui voit tout avait un terrible angle mort. Ce super humain conscient, ce héros à bien des égards qui deviendrait un jour un héros pour moi, avait un talon d'Achille. Il ne pouvait pas s'occuper des enfants. Peut-être était-ce parce qu'il n'avait jamais vraiment été un enfant lui-même. Assumant d'importantes responsabilités dès son plus jeune âge, il était plutôt un adulte en miniature, doté d'un esprit profondément instruit.

Un homme costaud, à la poitrine en forme de tonneau, il avait des poils drus sur les bras et le torse. Ces caractéristiques, combinées à ses manières bruyantes et venteuses, ont contribué à la « figuration primitive » de l'homme, du point de vue d'un enfant, faisant de lui une présence effrayante et intimidante pour moi […] Maman a souvent parlé de sa force, une force naturelle, a-t-elle dit, issue des gènes Herbert, robustes. Il avait été un enfant dur, et il l'était encore plus maintenant. Personne ne l'a bousculé. »


"Je trouve des bribes de notre histoire familiale dans les écrits de mon père, et en particulier dans Dune. Lady Jessica, avec sa beauté, son intelligence, sa loyauté et l'amour, représentait ce que mon père ressentait pour ma mère. Elle était la perfection pour lui, toutes les choses qui allaient bien dans sa vie. Elle était sa force et subsistance, nous nourrissant tous. Comme le très occupé duc Leto Atreides, mon père était trop absorbé par son travail pour prêter suffisamment d'attention à sa progéniture. Une grande partie de cette responsabilité a été laissée à Lady Jessica, tout comme elle a été laissée à ma mère dans notre famille. L'étiquette de Lady Jessica, comme celle de ma mère, a toujours été impeccable." (6)

Comme disait Fabien Sullivan Grandfils "Derrière, chaque grand homme il y'a une femme encore plus grande", cela aura été incontestablement le cas pour Frank Herbert. Malgré l'aspect novateur de ses idées, en avance sur son époque, il demeurera en lui un certain conservatisme notamment sur sa vision de l'homosexualité, visible au travers des Harkonnens, des rebelles de la fin du cycle de Dune, mais surtout envers son deuxième fils gay, Bruce Hebert.


Rencontre avec la psychologie des profondeurs :


En 1949 Herbert et sa femme et leur fils, déménagèrent en Californie où ils y rencontrèrent Ralph et Irène Slattery lors d'une conférence sur la Psychologie jungienne. Avides de connaissance, très intéressé par le sujet, les Slattery initièrent Herbert à la Psychologie Analytique.

« Dans les années 1930, Irène Slattery avait été élève de Jung, pendant qu'elle étudia à l'Institut polytechnique fédéral de Zurich. Elle avait toujours les notes de ces cours, ainsi que des documents fournis par Jung, et Irène donna à mon père l'accès à ces informations. Passionné, il s'est penché sur tout ce qui était écrit en anglais. Certaines des notes et des documents étaient en allemand, mais Irène alla jusqu'à les traduire pour lui.

Elle était résida à Berlin au cours de ces années, ou elle vit Adolf Hitler parler devant des milliers de personnes. Hitler l'a terrifia complètement dès qu'elle la vue pour la première fois. Elle disait qu'il était un démagogue habile, expert pour formuler des pensées tordues et colériques avec des mots qui semblaient convaincants. C'était un héros pour le peuple allemand, ce qui le rendait terriblement dangereux dans cette position, à cause de la façon dont son peuple le suivait servilement, sans l'interroger, sans penser par eux-mêmes.

Heureusement, elle quitta l'Allemagne avant d'avoir des ennuis en se rendant aux États-Unis. Des années plus tard, elle raconta ses premières inquiétudes au sujet d'Hitler à Frank Herbert. Ses pensées sur le danger des héros et de leurs pouvoirs ont mijoté dans le cerveau très réceptif de papa, et finalement elles formèrent la pierre angulaire de la série Dune : les héros sont dangereux, surtout quand les gens les suivent servilement, les traitant comme des dieux.

Une autre pierre angulaire de la série Dune est le concept de mémoire génétiquement transférée, en particulier dans la fraternité Bene Gesserit. Ce concept est basé sur les enseignements de Jung, qui croyait en un inconscient collectif produit par la mémoire génétique.(7)

"Les Slatterys semblent avoir été une paire très éclectique de psychanalystes qui ont donnés à Herbert une perspective cruciale, mais non dogmatique de leur domaine. Ils ont également introduit Herbert au Zen, dont les enseignements eurent une influence profonde et continue sur sa vie et son travail. Le cycle de Dune est plein de paradoxes zen destinés à perturber nos habitudes logiques occidentales d'esprit." (8)

La famille Herbert à été également initiée aux sagesses orientales et notamment à l'usage du I-Jing:


"À San Francisco, maman a appris à faire des graphiques et des prédictions en Astrologie chinoise à partir I'Jing. En l'utilisant avec d'autres moyens de prédiction, elle m'a dit un jour : « Brian, tu épouseras une blonde » (ce qui s'est avéré correct). Et après qu'elle m'ait montré comment fonctionnait le I'Jing, j'ai eu du mal à lâcher le livre. Elle a également prédit qu'elle mourrait un jour dans un pays lointain (ce qui s'est également avéré être exact)."

On retrouve cette influence dans Dune:

"Chani lui tendit le tuyau. « Voici l’Eau de la Vie, celle qui est plus grande que l’eau. Kan, l’eau qui libère l’âme. Si vous devez être une Révérende Mère, elle vous ouvrira l’univers. Que Shai-hulud juge, à présent.". Extrait de la deuxième partie de Dune.


Frank Herbert a brièvement été "Psychanalyste", à partir des années 1952 et cela pendant environ 2 ans, supervisé par les Slatterys, mais l'écriture de fiction comme terrain d'exploration psychologique restait le principal intérêt de sa vie :

" La principale raison pour laquelle je me suis lancé dans ce projet était l'analyse du caractère, la capacité de comprendre, en termes psychologiques, la motivation des personnages. Je dois dire ce fut probablement l'expérience éducative la plus inestimable que j'aie jamais eue." (9)

Ce qui est certain c'est que Frank Herbert et Carl Gustav Jung ont partagé la même soif de savoir et de connaissances étant tout deux des autodidactes dans de nombreux domaines.

Paul Atréides, joué par Kyle Maclachlan

Oeuvres de Psychologies :

« Herbert considérait la science-fiction, ou la fiction spéculative, comme il aimait l'appeler, comme une forme de mythe, mais il ne considérait pas le mythe comme absolu. Le mythe et les archétypes jungiens n'étaient qu'un autre discours qu'il s'efforçait de maîtriser et qu'il incorporait à l'ouverture dialogique de sa série Dune. En fait, ce qu'il admirait le plus dans la science-fiction, c'était qu'elle ne se limitait pas aux schémas traditionnels d'association. Il semble avoir utilisé les archétypes plus comme une stratégie pour impliquer émotionnellement les gens dans ses histoires que comme un fondement de la nature humaine qui ne pouvait pas être remis en question. Il croyait que la science-fiction avait fait son travail le plus important et le plus durable en exposant les hypothèses non examinées de notre société et qu'un cadre extraterrestre nous donne une chance d'examiner et d'évaluer ces hypothèses sous un angle différent. Selon Willis McNelly, la seule question qu'Herbert s'est posée à lui-même et à ses lecteurs encore et encore dans sa science-fiction, comme s'il cherchait personnellement la réponse, était « Qu'est-ce qu'être humain ? » [...] le Herbert mature est arrivé à travers sa création « Dune »: être vraiment humain signifie faire face à un univers infini. »

Face à l'infini qui dépasse les jalons mêmes de la conscience, il est sain de faire preuve de déférence. C'est précisément à cet endroit que né le besoin de spiritualité chez l'Homme. L'inconscient, la nature et l'univers tout entier ne sont pas nécessairement des lieux agissant à notre encontre, mais il est certain que pour ne pas subir leurs tumultes, il faut être conscient de son inconscience et du rôle que l'on a à jouer dans cette œuvre. Cette interrogation est inhérente à l'oeuvre d'Herbert.


"Selon son interprétation, le comportement des personnes dans des conditions extrêmes, des situations comme celles d'Arrakis sont indissociables d'une forme de spiritualité.

C'est enraciné dans l'identité éthique de leur groupe par le fait d'être constamment menacé de mort par son environnement. La religion de ces gens étant en grande partie basés sur des pratiques mystiques et sociales des personnes dont les systèmes de croyances spirituelles sont originaires des régions désertiques— soufis musulmans, kabbalistes juifs, Indiens Navajo, Kalahari, Habitanr du désert de Gobi, aborigènes..." (10)


"Le nom même "Dune" est comme un grand soupir, évocateur d'une lointaine terre exotique. Ses indigènes, les Fremens aux yeux bleus de l'Ibad méprise l'autorité impériale. Le nom même de Fremen (prononcé Frem-men) sonne proche des « hommes libres » (en anglais), une affirmation de leur indépendance, rebelle, qui ne se laissera jamais dominer par des étrangers. Aucune force extérieure, aucune autorité étrangère, ne peut les contraindre à modifier leurs façons de (sur)vivre .

C'était cet esprit de rébellion, de défi humain contre l'injustice et l'oppression, que Frank Herbert a si magnifiquement capturées lorsqu'il a mis en place son monde désertique et l'empire qui l'entoure. Il a opposé la culture occidentale contre la culture primitive, et a donné le feu vert à cette dernière."


« Les personnages correspondent aux archétypes classiques de la mythologie. Paul est le prince héroïque en quête, comme décrit par Carl Gustav Jung, Joseph Campbell et Lord Raglan.


Joseph Campbell dans le monomythe et Lord Raglan (et Otto Rank) dans le(s) mythotype(s).


Chez Campbell, le héros doit, dans un premier temps, accepter l’appel à l’aventure qui va le conduire à découvrir un monde extraordinaire et à affronter de nombreuses épreuves. Cette étape initiatique lui permettra d’acquérir de nouveaux talents et une meilleure connaissance de lui-même.

Il retournera ensuite vers le monde ordinaire d’où il vient et devra affronter une ultime épreuve qui lui permettra, s’il est victorieux, de rendre le monde plus juste.


Chez Lord Raglan, le héros dont la mère est une vierge royale et le père, un roi, connaît lui aussi un exil involontaire, dans une contrée lointaine. Il retourne ensuite dans son royaume à l’âge adulte. Il y affronte la « bête sauvage » (wild beast) ou le dragon, épouse une princesse et devient roi à son tour. Après une période où il règne sans partage, il est abandonné des dieux et chassé du trône. Il finit par mourir dans des circonstances mystérieuses et ne reçoit pas de sépulture.


Paul est un anti-héros [...] Il est traversé par des forces inconscientes que, malgré tous ses efforts, il ne parviendra pas à endiguer. Herbert nous montre que la politique n’est pas une activité rationnelle qui peut triompher du chaos. Elle est le seul moyen dont nous disposons pour tenter de contrôler nos destinées, mais ne constitue qu’un faible rempart face aux forces inconscientes qui président au développement de l’espèce humaine. Pour étayer ce pessimisme épistémologique, Herbert confère à son Messie le don de prescience : néanmoins, même en ayant accès aux flux des possibles et aux arcanes de l’inconscient collectif, Paul se rend compte qu’il ne peut pas infléchir son destin et éviter la guerre. Cette approche jungienne de la question politique est sans doute l’une des raisons pour lesquelles l’œuvre de Herbert demeure d’une grande modernité. (14) 


D'autres archétypes s'incarnent dans Dune , notamment celui du fou (Rabban), de la mère sorcière (Révérende Mère Gaius Helen Mohiam), de la sorcière vierge (Alia) et du vieil homme sage de la mythologie de dunes (Pardot Kynes).

La planète Caladan tire son nom de Calydon, ville de la Grèce antique où un sanglier géant, envoyé par Artémis, à été chassé. Ce fut l'une des plus célèbres histoires de la mythologie grecque. (11)

Dune est un conglomérat moderne de mythes familiers, une histoire d'héroïsme, les grands vers des sables gardant un précieux trésor : le mélange, l'épice gériatrique. La planète Dune abrite des vers de plusieurs milliers de kilomètres de long capables de vivre pendant des années – des monstres féroces ressemblant à des dragons qui ont de « grandes dents » et un « souffle de cannelle ». C'est le mythe de la Perle de Grand Prix. Dans la Bible, une parabole décrit un homme qui a obtenu un grand trésor et l'a ensuite gardé et caché. Cette parabole est aussi liée aux histoires mythologiques de trésor, comme la toison d'or du bélier sacré sacrifié à Zeus, donné par Phrixus au père de sa femme et cloué à un chêne, où il était gardé par un dragon qui ne dormait jamais. » Interrogé dans Psychology Today, Herbert a déclaré qu'il n'était pas un disciple de Jung, bien qu'il utilisait les archétypes et le symbolisme, et qu'il développait ses personnages selon les fonctions psychologiques de Jung : extraversion-introversion, pensée-sentiment, sensation-intuition :

Frank Herbert dit à ce sujet :


« Chani est du type sentiment-pensée. Son personnage est construit sur ces opposés. Jessica est dans cette même condition . Ainsi, les deux femmes importantes de Dune sont incarnées de cette façon. Je suis allé chercher d'autres figures archétypales tout au long du livre. J'ai le jeune prince à la recherche du Graal, le vieux sage et le fou, celui qui peut dire au roi : "Tu es nu"... Le ver des sables est le monstre insensé des profondeurs qui garde la perle de grand prix. C'est le taureau noir de la corrida, le dragon qui danse dans les rues au Nouvel An chinois. La perle de grand prix, bien sûr, c'est le mélange. Il prolonge la vie et étend également les sens des utilisateurs. Cela donne une autre opportunité d'introduire la fonction « sensation » chez certains de mes personnages. Il faut voir Dune, et en particulier l'Empereur Dieu de Dune, comme une « concrétisation » des idées de Jung sur l'inconscient collectif. (11)

En Effet, "l'Empereur Dieu de Dune" 4e volet de la série est sans doute le chapitre le plus psychologique du Cycle. Ici, plus qu'ailleurs, le récit laisse peu de place à l'action privilégiant le dialogue entre un Duncan Idaho - ressuscité d'innombrables fois - et Leto II Atréides, fils de Paul l'immortel Empereur devenu "Shaï Hulud". Ensemble, ils questionnent les enjeux de pouvoirs au regard de la mémoire et de leurs idéaux (Comme dans l'excellent film "Héro" de Zhang Yi-mou).


Les meilleurs lendemains sont un horizon qui se dérobe sans cesse à la vue des prescients, mais la quête inachevable de la paix perpétuelle est également un vecteur d’émancipation et de changement qui permet à l’humanité de se réinventer. C’est donc sans pessimisme mais armé d’une lucidité quelque peu désabusée qu’Herbert examine le mouvement de balancier qui préside aux destinées des sociétés humaines : allant de la servitude à la domination pour découvrir de nouvelles formes de servitudes et de nouvelles formes de révoltes, ses personnages participent d’une lutte cyclique qui est l’essence même de l’Histoire. (14)


Rebecca Ferguson dans le rôle de "Jessica" dans le film de Denis Villeneuve

Une modernité écologique ?


"Franck Herbert prônant une sorte d'écologie sémantique, soulignait que nous croyons généralement que le sens se trouve dans les mots imprimés (comme ceux-ci), dans les bruits d'un locuteur, dans le lecteur ou la conscience de l'auditeur, ou dans l'espace crée entre eux. En réalité, il soutenait que, le sens ne surgit que par le processus transactionnel: "Nous avons tendance à oublier que nous, les humains, avons évolué dans un écosystème qui a exigé une improvisation constante de notre part. Comme un miroir, nous reflétons cette histoire d'influences mutuelles dans tous nos systèmes et processus."

Pour Herbert, donc, le dialogue est le principe par lequel nous pouvons improviser avec notre univers, une façon d'aborder le fait que notre survie en tant qu'espèce exige une virtuosité toujours croissante et une maîtrise de nos instruments. Dans ses dernières années, il était mécontent du principe même des conférences, un monologue qui ne lui permettait aucun retour d'expérience, aucun dialogue avec son public. Il aimait descendre de la scène, dans la salle avec un micro et parlez aux gens, découvrir ce qui les dérangeait eux." (13)


William F. Touponce dans l'introduction de sa biographie sur Frank Herbert en 1988 prend le parti pris de présenter Dune comme une œuvre écologique, mais Brian Herbert nous livre une tout autre version des faits :

"Papa a aussi écrit des passages dans lesquels le planétologiste Impérial Liet-Kynes, était plus au centre de l'histoire. Frank Herbert a décidé que l'écologie prenait trop de place dans son histoire pour un thème secondaire. La dimension écologique de la planète, bien qu'importante, convenait mieux comme toile de fond par rapport à l'histoire principale qu'il voulait raconter, à propos d'un héros en devenir basé sur la mythologie.

Il a déplacé une grande partie du message écologique dans les épigrammes des chapitres précédents, à la première annexe de l'ouvrage. Dans le processus d'écriture, entre la deuxième version et l'ébauche finale, il a coupé quarante mille mots dans la partie II et III, lui permettant de se concentrer davantage sur les événements politiques et religieux entourant Paul Atréides—le mystique Muad'Dib.

Ironiquement, malgré la direction dans laquelle il a tenté d'orienter son histoire, l'écologie est devenue le thème le plus plébiscité, souvent ce que les gens retiennent du livre.

Les thèmes politiques et religieux étaient souvent mal compris par les éditeurs et les lecteurs. Le message écologique est beaucoup plus facile à comprendre". (2)


Adapter ! :


Plus profonde est l'histoire, plus l'adaptation en est complexe. Je suis persuadé que si David Lynch avait pu faire un film en plusieurs parties sur dune il l'aurait fait. Malheureusement, tel n'était pas les meurs de l'époque.

Incontestablement Denis Villeneuve dans sa Dune, nous met un K.O esthétique au premier round, plans larges construits, effets spéciaux et spatiaux épurés - bordel, appelez son directeur de la photographie, je le veux au cabinet dès demain - le tout dans une ambiance contemplative et immersive. Des designs splendides, Arakeen et ses mausolées tentant de résister face à l'inexorable avancée des sables, des Ornithoptères géniaux, etc. Bon musicalement, l'épuration et la sobriété n'ont jamais été le point fort d'Hanz Zimmer, mais il faut reconnaître qu'il s'en sort bien face au monumental défi qu'est celui de passer derrière la tête à Toto.

Mais Denis, c'est aussi le gars qui est capable de vous donner froid au milieu d'un désert. Enjeux politiques, Pouvoir, Émotions, initiations et Psychologie sont là comme des manchots sur une banquise attendant le dégel aussi bien que le Messie.

Le Djihad s'est transformé en croisade - il ne faudrait quand même pas donner de mauvaises idées - et toute la dimension spirituelle et psychologique de l'œuvre s'est envolé – il ne faudrait pas perturber l'États-Unien moyen - au profit d'une façade pseudo-écologique, qui j'en ai conscience reste un enjeu vital pour notre époque. Mais à quel prix pour notre récit ? L'époque est celle du consensus, du statu quo, de la non-prise de risque ...Qu’elle aurait été « L'origine du monde » de Courbet s’il avait fait le choix de ne pas choquer ? Sans nul doute plus habillée ?!

Mais il faut relativiser, le casting en vogue va sans doute permettre à des milliers de néophytes de la SF de s'immerger dans un Nouveau Monde. Ce qui fait la richesse de Dune c'est que l'on accompagne les personnages dans leurs pensées intérieures, dans leur développement ce qui donne une vraie force émotionnelle au récit.


Plus préoccupé par le facteur humain que par les grandes avancées technologiques, Herbert ne se contente pas d’être le témoin des convulsions au XXe siècle, il parvient à en saisir les lignes de force pour en tirer des leçons universelles. En utilisant le prisme de la psychologie des profondeurs pour revisiter les grands questionnements politiques, le romancier déroule, sous les yeux émerveillés de son lecteur, un long parchemin révélant les reflets moirés et les subtiles nuances d’un monde en perpétuel changement. (14)

En tous les cas pour moi vous l'aurez compris, l'ensemble de l'œuvre est évidemment baignée avant tout par la sagesse de la psychologie des profondeurs.


Les Ornithopters dans la version de Villeneuve

"La grandeur est une expérience passagère. Jamais elle n’est stable. Elle dépend en partie de l’imagination humaine qui crée les mythes. La personne qui connaît la grandeur doit percevoir le mythe qui l’entoure. Elle doit se montrer puissamment ironique. Ainsi, elle se garde de croire en sa propre prétention. En étant ironique, elle peut se mouvoir librement en elle-même. Sans cette

qualité, même une grandeur occasionnelle peut détruire un homme." Extrait de Les Dits de Muad’Dib, par la Princesse Irulan.

1. Frank Herbert , par William F. Touponce 1988 4. Ibid 8. Ibid

2 Dreamer of Dune, The Biography of Frank Herbert, Brian Herbert (January 1, 2003). 6. Ibid 9. Ibid

14. Ibid

3. « Frank Herbert » , Chronique de science-fiction, Ben Bova, 24 avril 1986

4. Transcription de l'entretien avec Herbert le 27 février 1978, par Timothy

O'Reilly, dans les archives de la California State University, Fullerton

10. Entretien enregistré avec Herbert, 1er août 1980, par Robert Wright, dans

archives au CSF. 12. Ross Stagner, “Frank Herbert, Master of Dune" Psychology Today, Octobre 1984, 72

13. Harper's Magazine (décembre 1973)

14. Ouvrage collectif, Dune Exploration scientifique et culturelle d'une planête-univers - Géopolitique Fractale de l'impérium pat Sam Azulis, Philosophie politique et psychologie des profondeurs

612 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Commenti


bottom of page