J'ai eu récemment l'occasion de découvrir "My Wonder Woman" d'Angela Robinson (qui sortira en France le 18 avril 2018) c'est un film qui m'a beaucoup touché et interrogé sur les différents types de projections que l'on peut avoir. Ce film m'a donné envie d'approfondir davantage le sujet en effectuant quelques recherches autour de cette riche histoire.
"My Wonder Woman" est l'histoire haute en couleur de la vie de William Moulton Marston, Psychologue co-inventeur du fameux "détecteur de mensonges" et du DISC( Dispositif d’Ingénierie Socio-Cognitive), un outil en psychologie et aujourd'hui en management, mais il est surtout connu dans la pop culture pour être le créateur de Wonder Woman qui se voulait être un archétype du féminisme (au départ). Le film nous parle de ses influences, mais aborde surtout sa vie privée, très moderne pour son temps.
Ses débuts:
Né en 1893 dans le cœur du Massachussets, à Saugus, Willam Moulton Marston vient d'une famille assez modeste, sa facilité d'apprentissage lui ouvrira la voie d'un parcours étudiant brillant. Elle l'emmènera sur les bancs de l'université de Harvard où il va décrocher plusieurs diplômes de 1915 à 1921, en commençant par un Bachelor of Arts puis un diplôme de droit pour finir avec un doctorat en psychologie. En plus de cela, il réussit à trouver le temps pour gagner un concours interuniversitaire d'écriture de scénarios. Son scénario sera adapté en film, Jack Kennard, Coward et projeté dans tout le pays. L'histoire commençait bien !
William Moulton Marston
L'université:
En 1918, Marston obtient son diplôme de droit à Harvard. Sa femme, Elizabeth Holloway, décroche le sien à l’université de Boston, car Harvard n’admettait alors que les hommes. Trois ans après, le droit de vote est enfin accordé aux femmes. Marston termine son doctorat en 1921. Sa thèse porte sur la détection du mensonge en fonction des variations de la pression artérielle systolique (Marston est souvent présenté comme l’inventeur du détecteur de mensonges ; c’est la raison pour laquelle Wonder Woman possède un lasso magique qui oblige les ennemis qu’elle attrape à dire la vérité).
Élisabeth, par sa condition de femme de l'époque, resta dans l'ombre de Marston, alors que de récentes recherches ont prouvé qu'elle avait fait plus que collaborer avec son mari, étant à la base de nombreuses découvertes attribuées à celui-ci. Il est même dit que c'est elle qui l'aurait mis sur la piste de la mesure de la pression sanguine liée aux émotions.
Il s’intéresse aussi à d’autres sujets comme le sexe, la différence sexuelle. Entre 1910 et 1920, le pourcentage de femmes mariées qui travaillent en Amérique a presque doublé. À une époque où certains comportementalistes considèrent le féminisme comme une forme de perversion, Martson entend démontrer le contraire. Selon lui, les femmes sont plus émotives que les hommes et leurs émotions sont souvent enracinées dans leur sexualité (« Il existe un plus grand nombre de stimuli adéquats à l’émotion sexuelle chez la femme », affirme-t-il).
( William et Élisabeth)
À l’époque, les femmes n’ont toujours pas le droit de siéger dans les jurys des tribunaux de 31 états. Marston et Holloway vont alors mener à l’université une série d’expériences afin de démontrer que les jurées sont plus fiables que leurs homologues masculins : « Elles s’avéraient plus prudentes, plus consciencieuses et tenaient compte de manière impartiale de tous les témoignages », écrivent-ils dans leur rapport de recherches. Ils devront cependant arrêter l’expérience. Arrêté à cause d’une mystérieuse affaire de fraude (les accusations étant abandonnées par la suite: volonté politique ou malversation ? )
Marston est renvoyé de l’université. Après cette affaire il ne gardera pas un poste plus d’un an, dégringolant à chaque dois dans l'échelle académique. À l’American University de Washington, il était professeur titulaire et président du département de psychologie ; à Tufts, le voilà professeur assistant non titulaire. À Columbia en 1928, à la fin de sa carrière universitaire, il ne disposera plus que d’un simple contrat d’un an comme maître de conférences.
C’est en 1925 en poste à Tufts, dans le Massachussets qu'il tombe amoureux de l’une de ses élèves, Olive Byrne, fille d'Ethel Byrne et nièce de Margaret Sanger toutes deux féministes.
Il travaille alors avec Olive, qui poursuit un doctorat en psychologie à l’université Columbia. Ensemble, ils conduisent une série d’expériences dans un théâtre de New York. Elle l’emmène à sa sororité (l’équivalent féminin d’une fraternité dans les universités américaines), où les étudiantes de première année déguisées en bébés assistent à une « Baby Party ». « Les filles étaient conduites jusqu’à un couloir sombre où on leur bandait les yeux et on leur attachait les bras », se souvient Marston. Elles étaient ensuite regroupées dans une pièce où leurs aînées les obligeaient à se plier à leurs injonctions en les frappant à coups de bâtons. « Presque toutes les étudiantes de deuxième année se disaient excitées et troublées tout au long de la fête », ajoute Marston (son intérêt pour ce qu’il appelle « l’émotion de fascination » dit beaucoup de choses sur Wonder Woman et le bondage).
(Olive Byrns, nièce de Margaret Sanger)
En 1926, Olive Byrne, alors âgée de 22 ans, s’installe avec William Moulton Marston et Elizabeth Holloway dans un ménage à trois – « l’amour pour tous » ainsi que le dira Holloway. Olive Byrne donne deux enfants à son professeur qui en avait déjà deux ; les enfants ont donc trois parents – « deux mamans et un pauvre papa », selon la formule de Marston. Pour Elizabeth, cette organisation est née d’une idée simple : « Un nouveau mode de vie doit d’abord exister dans l’esprit des hommes avant de prendre une forme réelle. » De la lecture de Woman and the New Race de Margaret Sanger, elle a retenu une idée : « Cette nouvelle race aura une capacité à aimer beaucoup plus grande que l’actuelle. Et je parle de l’amour physique comme de toute autre forme d’amour. » Elle s’inspire aussi de Havelock Ellis, médecin britannique et l'un des premiers sexologues qui fut l’un des amants de Margaret Sanger. Promoteur des « droits érotiques des femmes », Ellis faisait valoir que l’évolution du mariage en tant qu’institution avait abouti à l’interdiction du plaisir sexuel féminin, condamné comme un dérèglement ou une anomalie. Dans son esprit, l’égalité érotique n’était pas moins importante que l’égalité politique. « Le droit à la jouissance ne peut être invoqué de la même manière que le droit à déposer un bulletin de vote dans une urne, écrivait-il. Voilà pourquoi ce droit à la jouissance passe toujours en dernier. »
Ils travaillèrent tous aux recherches du psychologue, visant à démontrer sinon la supériorité, au moins l'égalité intellectuelle entre les hommes et les femmes.
Il est convaincu que les femmes sont plus honnêtes et plus fiables que les hommes et peuvent travailler avec plus de rapidité et de précision.
Le travail du psychologue clinicien consiste donc à proposer aux patients une « rééducation émotionnelle » : « Les gens doivent apprendre que les parties d’eux-mêmes consacrées à l’amour, qu’ils en sont venus à considérer comme anormales, sont tout à fait normales », écrit Marston
Leurs travaux aboutiront au DISC, Dispositif d'Ingénierie Socio-Cognitive (Dominance, Influence, Steadiness, Compliance) un outil de psychologie qui est assez proche du modèle des fonctions chez Jung se basant sur la même idée de départ: "introversion" et "extraversion". Les idées ne naissent-elles pas à plusieurs endroits simultanément ?
En 1926 toujours en poste à Columbia, il invite des journalistes et des photographes à observer un groupe de six jeunes femmes – trois blondes et trois brunes – assises au premier rang. L’expérience est filmée pour les actualités : « Le docteur William Marston teste sa dernière invention : le compteur d’amour. » Tandis que l’écran diffuse La Chair et le Diable avec Greta Garbo, Marston et son amie menottent chaque participante afin de mesurer la pression sanguine et le niveau d’excitation. Conclusion : les brunes sont plus facilement excitées que les blondes. Après cette étude, et suite aux nombreuses rumeurs sur sa vie privée, l’université de Columbia ne renouvelle pas le contrat de Marston. (on peut, en effet, de nos jours douter de l'aspect réellement scientifique de son expérience).
Nouvelle Vie:
À l’été 1928, les studios Universal font paraître une annonce dans les pages du Saturday Evening Post : « Recherche psychologue. Un spécialiste capable d’analyser l’intrigue d’un film et de prévoir les réactions du public. » Marston est engagé. Avec Elizabeth, Olive et bébé Pete, il déménage à Los Angeles. Au cours d’une expérience, il projette devant mille étudiants un film des studios Universal, "The Love Trap". Mais il coupe la scène finale pour savoir si le public peut supporter des histoires inachevées.
Dans le même temps, William Marston et son ami Walter Pitkin, qui avait enseigné à l’école de journalisme de Columbia, publient en 1929 un manuel d’écriture de scénarios, "The Art of Sound Pictures". Une grande partie est consacrée à la méthode, État par État, pour contourner les règles de censure. Tout dépend de ce qui se passe à l’écran : on a par exemple le droit de montrer le marquage des animaux au fer rouge (à condition que le geste ne soit pas représenté) à New York, dans l’Ohio et en Virginie, mais pas en Pennsylvanie, ni dans le Maryland ou au Kansas. Question sexe, on peut filmer un homme et une femme, pas forcément mariés, qui entrent dans la chambre, ce qui suggère un « rapprochement physique ». Quant à l’homosexualité, « les scènes montrant des femmes en train de s’embrasser, en prise continue » sont généralement interdites.
Marston et Pitkin montent Equitable Pictures, une boîte de production. Le second travaille sur une idée de scénario inspirée par le premier : « Comment une femme peut-elle encore aimer et gagner sa vie, être économiquement et érotiquement indépendante ? » Deux titres sont envisagés : Brave Woman et Giddy Girl. Pas de chance pour les deux associés, ils déposent les statuts de la société en octobre 1929, quelques jours avant l’effondrement du marché boursier. Elle doit aussitôt tirer le rideau. Une femme susceptible d’être à la fois économiquement et érotiquement indépendante aurait dû attendre la fin de la Grande Dépression. Elle aurait dû être en plus une superhéroïne. Et à cette époque-là, les superhéros n’avaient pas encore été inventés.
Max Gaines éditeur de Comics, décide d’engager Marston comme consultant afin d'utiliser les compétences du psychologue et mieux répondre aux attentes des lecteurs. Marston va utiliser ses recherches, ses influences familiales au travers d'Élisabeth et d'Olive pour incarner une héroïne féminine représentant la force et l'émancipation de la femme: Wonder Woman.
William Moulton Marston vient à peine de fêter son demi-siècle quand il apprend qu'il a un cancer de la peau. Il y succombera le 2 mai 1947 à l'âge de 53 ans. En 1948, Élisabeth, l’épouse officielle, retourne dans une compagnie d’assurances. Olive, elle, trouve un autre type de métier : « Je travaille pour notre clinique locale, un centre de santé maternelle, écrit-elle à sa tante Margaret Sanger". Elles vivront toutes les deux et élèveront leurs enfants ensemble. Olive Byrns décédera en 1985, Elisabeth Holloway Marston décédera en 1993, centenaire.
(Olive et Élisabeth)
En Conclusion: William Moulton Marston malgré son métier de Psychologue chercheur a pu faire fi (non sans difficulté) de toutes les pressions sociales. Il a su au travers du polyamour rester anticonformiste et assumer jusqu'au bout ses convictions. Mais cela nous amène à nous poser des questions: Peut-on émettre l’hypothèse que son Cancer de la peau serait en partie somatique ( la peau étant, l'image, ce qui relie l’intérieure à l'extérieure) ? Comment Élisabeth et Olive ont-elles vécu cette relation (2 femmes pour 1 homme) ? N'est-ce pas le contraire d'un idéal féministe ? Comment les enfants ont grandi à travers de cette situation hétéroclite ? En ont-ils souffert ?
Les réponses nous apporteraient un bon éclairage à l'heure où le modèle social de la famille est en train de se transformer.
(Elisabeth son fils et sa fille, Olive et ses deux garçon, William et une autre femme inconnue)